64                           Les Spectacles de la Foire.
Cet arrêt n'étoit quc confirmatif des anciens privilèges dc l'Académie de mufique et ne l'autorifoit pas à frauder le traité qu'elle avoit librement et régulièrement fouferit avec le fuppliant; néanmoins elle crut voir, dans cette émanation de ce traité qu'elle avoit elle-même provoqué, le dégagement ab-folu de fés obligations et fit dire au fuppliant que s'il vouloit être maintenu dans la jouiffance de fon fpectacle, il falloit qu'il offrit une nouvelle contri­bution ; qu'il avoit des concurrens et que c'étoit le fcul moyen de les écarter.
Il n'eft pas poffible de peindre l'étonnement que lui caufa cette étrange propofition. Il avoit fous les yeux le traité fait avec le directeur général de l'Académie de mufique et il y lifoit ces mots : « ...lequel confent, de la part et au nom de ladite Académie royale de mufique, de le laiffer jouir de fon fpectacle et entreprife dans l'état où il eft préfentement, fans aucune innova­tion. » Le fuppliant ne pouvoit concevoir qu'au mépris de, difpofitions autîi formelles et après une exécution refpective de plufieurs années, on le dépouillât tout à coup des droits qu'il avoit légitimement ct chèrement acquis.
Le fuppliant fit fés repréfentations. Il obferva, mais inutilement, aux directeurs que l'Académie jouiffoit de tous les droits dès qu'elle pouvoit les contracter, que les lois daignoient veiller à la fûreté de ces conventions trop légalement établies ct qu'il n'étoit ni jufte ni utile pour le corps dc prétendre avoir le droit dc les violer. On le fit prévenir quc fa réfiftancc feroit mal accueillie et quc le feul parti prudent qu'il eût à prendre étoit d'aller chez le fleur Margantin, notaire, faire fa foumiffion dc la redevance annuelle qu'il entendoit fervir à l'Opéra.
On doit fentir que le fuppliant ne pouvoit fe refufer à cc que l'Opéra exigcoit de lui. A quoi cn effet lui eût pu fervir fa réfiftancc ct mème le fuccès dont elle eût été infailliblement fuivie? Le fuppliant prit donc le parti dc fe foumettre ct il paffa chez le fleur Margantin une foumiffion ainfi conçue : « Je fouffigné Nicolas-Médard Audinot, entrepreneur de l'Ambigu-Comique, pro­mets ct m'engage dc payer à la caiffe de l'Opéra (le quart des pauvres pré­levé) Ie dixième du produit réel de chaque reprcfentation et cc l'efpace dc tems quc l'on conviendra refpectivcment de part et d'autre. Fait à Paris, ce 22 août 1784. »
Le fuppliant avoit tout lieu dc fe flatter que, par égard pour fa réfignation ct par efprit d'équité, les directeurs, dans le cas où ils n'agréeroient pas cette offre, lui feroient dire au moins qu'elle étoit infuffifante et que tous fés rivaux en faifoient une fupérieurc ; la règle exigeoit même que cela fe paffât ainfi. Peut-être eut-il couvert leurs mifes et eut-il propofé à l'Académie une aug­mentation de revenu et plus de certitude dans le payement. Car pourroit-on croire quc les fieurs Gaillard et Dorfeuille, qui font fés adjudicataires, qui par impéritic ou inconduite ont déjà échoué dans les entreprifes des fpectacles de Lyon ct de Bordeaux, auront un fuccès durable dans une carrière infini­ment plus difficile ct moins lucrative ? Le fpectacle de l'Ambigu-Comique a donc été adjugé à ces deux hommes à l'infu de l'ancien propriétaire, du créa­teur. 11s ont êté tout à coup et fans qu'il en fût averti fubftitués à fés travaux,